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CTABANON
6 avril 2008

La Blache

Dans notre pays, on appelle ainsi une parcelle de bois.

Ma grand-mère Martha avait eu deux blaches en héritage de son père, le « pépé Laugier » mort en 1967 à 85 ans. Martha, après son mariage, avait tenu à garder ses terres en nom propre ; elle en tenait une fierté certaine face à son mari qui possédait bien plus. Pendant des années on parla des « blaches de la mémé ». De temps en temps, quand un de ses enfants ou petits enfants avait besoin de bois, Martha lui disait « va en chercher sur mes blaches ».

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Une de ces deux blaches m'appartient aujourd'hui; elle se situe sur la commune de Banon, au lieu-dit Les Cloués à une altitude d'environ 1100 m et a une superficie d'un peu moins d'un hectare (cadastre - parcelle n°161). Elle se trouve en contre-bas d'une barre rocheuse, exposée au nord, face au Mistral, à 100 mètres du chemin le plus proche. Assez escarpée, elle contient de nombreux pierriers. Depuis ma blache on a une vue aérienne sur le village de Banon coiffé du Mont-Ventoux, au loin. Pendant 40 ans, je suis venu à Banon par la route de Saint-Etienne-les-Orgues sans même imaginer que le Ventoux était si proche. De ma blache je vois Banon, le Ventoux et le cimetière de Banon où repose ma grand-mère. Et puis, bien évidemment, de Banon on voit ma blache.

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Autrefois, les collines n'étaient pas boisées car les paysans forts nombreux faisaient brouter leurs maigres troupeaux partout. Ce n'est qu'à partir du milieu du 20ième siècle que les bois, peu à peu, ont repris le dessus grâce à l'exode rural. Aujourd'hui, ma blache est couverte de chênes, de ceux que l'on trouve par chez nous, petits et vigoureux. Le cycle végétatif est long: il faut environ 50 ans pour que la forêt se reconstitue. Celle-ci fut coupée aux environs de 1950 par le "pépé Laugier". Compte-tenu de sa situation, c'est un cheval qui tirait les grumes jusqu'au chemin proche et l'histoire dit que plusieurs fois les chargements furent « dévirés ».

Du temps où nous habitions Banon, j'avais prospecté pour acquérir une blache. Curieusement et bien qu'il y en ait plus de 1000 hectares sur la commune, c'est un bien difficile à trouver. Tout d'abord, il y a les propriétaires qui exploitent les leurs et veulent les garder puis, il y a une grande quantité de propriétaires qui  ne s'en préoccupent pas. Mais aussi et surtout, la plupart de celles qui se vendent sont captées par les quelques paysans de la commune qui accumulent les parcelles à bon compte. Un hectare de bois coûte environ 500 Euros et via la SAFER ils sont au courant de tout ce qui se vend et peuvent préempter les ventes. Mes cousins, agriculteurs sur la commune, possèdent ainsi des centaines de blaches et accroissent leurs possessions chaque année inexorablement.

Je devais donc saisir l'opportunité de la vente de la « blache de la mémé ». Pour en devenir propriétaire il me fallut surmonter certains obstacles. Quand ma grand-mère décéda en 1997, à 90 ans, ses biens ne furent pas partagés. On attendit que mon grand-père décède en 2000 à 96 ans pour que la succession soit réglée. Un premier arrangement avait attribué cette blache à ma mère qui devait me la céder ensuite. Mais cet arrangement fut contesté. La Blache n'était pas l'objet du contentieux mais celui-ci se termina par une liquidation judiciaire de la succession avec vente aux enchères.

La vente eut lieu en février 2007. Il était pour moi hors de question que je n'achète pas une blache, quel que soit le prix, et celle des Cloués avait ma préférence du fait de son emplacement. La mise à prix était de 500 Euros. Dès que l'enchère commença, je vis  qu'un de mes oncles de Manosque était aussi sur le coup. Je trouvais stupide de "monter au cocotier" à deux et je lui proposais dessuite de lui laisser la grande blache s'il me laissait celle des Cloués. Comme moi, il voulait s'offrir un souvenir de son grand-père et pour voulait avoir le droit de ramasser les champignons sur la commune. Nous tombâmes vite d'accord et je devins ce jour-là propriétaire de ma blache pour 2000 Euros. A cela s'ajoutaient les frais de vente ainsi que les droits de mutation et d'enregistrement qui se montaient ensemble à environ 1500 Euros. A l'issue de la vente j'allais voir mes cousins qui avaient quasiment acheté tout le reste et leur demandais:

- elle ne vous intéressait pas la blache ?
- Oulala, t'as vu combien tu l'as payée, ça vaut pas ce prix là !

Car avec la SAFER, quand même, ils ne peuvent pas choisir le prix. Il me confirma par contre qu'au prix de la mise à prix ils l'auraient achetée.

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A chacun de nos passages à Banon, je fais un saut sur ma blache avec ma tronçonneuse. Peu à peu, le bois coupé sèche. Sur un hectare, si on coupe tout, on peut sortir 100 stères de bois. Là, si j'en coupe 2 stères par an, compte tenu des 50 ans de repousse, j'aurais du bois toute ma vie, et du bon.

J'envisage d'y planter quelques pins d'Autriche, quelques mélèzes qui devraient bien profiter compte-tenu de l'altitude. Je vais aussi y planter des cactus, je prendrai des plans sur ceux que nous avons à Nice. J'envisage aussi d'y construire une borie en pierres sèches pour l'utiliser comme cabanon.

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La blache contiguë à la mienne et qui la sépare du chemin appartient à mon oncle Banonais et à ses fils et j'aurais aimé la leur acheter pour avoir un peu plus de surface. A ma demande, mon oncle m'avait dit : « oh, si c'était que moi, elle serait à toi demain mais je dois voir avec les jeunes ». J'avais alors senti comme une réponse négative qui ne voulait pas s'assumer. Plus tard, mon cousin me répondit : « ailleurs je dis pas, mais là où elle est, c'est stratégique, on ne peut pas te la vendre... » J'essayais ensuite de lui faire détailler ce « stratégique », des fois que je sois aussi propriétaire d'un bien stratégique ! Il ne ma parla ni de la vue sur le Ventoux ni de la mémé Martha mais lâcha seulement comme explication le mot « chasse ». Cela me parut bien court.

 

JG

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